L’histoire du portage, c’est l’histoire de la proximité du bébé et de sa mère au travers des époques et des modes de vie.
Depuis le début de l’humanité
On porte, on berce, on allaite et les bébés partagent aussi la couche parentale. Le portage répond a un besoin de déplacement (le nomadisme) et de survie (évitant le froid du sol et d’éventuelles attaques de prédateurs). Bien que l’Homme ait perdu ses poils de singe, le nourrisson conserve ses réflexes primaires du grapping (préhension de la main) et de Moro (réflexe d’agrippement des bras). N’ayant donc plus poils pour être saisis, l’Homme noue une peau animale en bandoulière autour de son buste pour y placer le bébé, c’est ainsi que fût inventé le premier porte-bébé ! On observe le plus souvent un portage à base d’étoffes ou à partir de paniers portables soutenus sur le dos comme le montre l’image ci-dessous.
Jusqu’à la fin de la renaissance les bébés sont portés et vivent dans la proximité de la cellule familiale.
XVII ème siècle :
La manière d’allaiter les bébés se modifie car la mise en nourrice s’accentue. Les familles les plus riches les emploient en les hébergeant. On les nomme “nourrices sur lieu”. Les familles les moins aisées envoient leurs bébés chez les nourrices directement, on les nomme “nourrice à emporter”. Avoir du personnel domestique est un signe extérieur de richesse alors lorsque les familles ont les moyens, elles embauchent aussi une bonne en plus de la nourrice pour s’occuper des tout-petits. Ces nouvelles pratiques éloignent les bébés de la proximité maternelle et du XVIII ème siècle aux années 1970, on va se diriger vers moins proximité avec son bébé et donc moins de portage.
XVIII ème siècle
Le siècle se divise.
- D’une part, on s’intéresse à la psychologie de l’enfant et de nombreuses recherches sont publiées. On voit apparaître toutes sortes de recommandations pour s’occuper de son bébé (l’invention des horaires pour nourrir/allaiter un enfant sur l’observation du cycle de digestion animal par exemple). Le système médical devient de plus en plus présent et prône l’allaitement maternel considérant les nourrices dépourvues d’hygiènes et ignorantes. Des auteurs et philosophes comme Balzac et Maupassant s’insurgent dans leurs ouvrages contre le “marché des nourrices” devenu une véritable industrie. Dans son livre “L’Émile ou de l’éducation”, Rousseau prône le retour à la nature et le lien mère-enfant.
- D’autres part, On crée des infrastructures pour encadrer et organiser les nourrices. Toutes les classes de la société recourent à ce mode d’allaitement. On confie ses enfants “aux nourrices”, “à un proche”, ou on “les place en internat”. (En 1780 à Paris , sur les 21 000 enfants nés cette année-là, seuls 1 000 enfants sont nourris par leur mère.) On incite les familles à faire dormir leurs bébés dans un berceau. L’arrêt du sommeil partagé, la diminution de l’allaitement maternel chez les mères et le fait de ne plus avoir d’enfant sur soi conduisent à l’augmentation du taux de natalité ! (Notez aussi qu’à l’époque la figure de mère est sacrée, elle ne peut accomplir son devoir d’épouse pendant son devoir de mère allaitante, alors si elle ne donne pas le sein, le mari peut réclamer ses droits).
Petit à petit, on passe de “laisser grandir” à “former son bébé“. Et pendant ce temps en 1733, William Kent invente l’ancêtre de la poussette.
XIX ème siècle
Ce siècle marque les dérives de l’éloignement des nourrissons et des enfants de leurs parents.
La révolution industrielle conduit les mères à travailler avec de moins en moins de temps pour s’occuper de leurs bébés. La transmission de la maternité entre les mères et leurs filles se perd. C’est dans la presse féminine et auprès des médecins que les nouvelles mamans cherchent conseils. On encourage alors les enfants a être autonome très tôt par idéologie éducative et par nécessité. L’accouchement se déroule encore à la maison.
En 1848 est inventé le lait en poudre. Il est d’abord réservés aux familles pauvres dont les femmes travaillent. Les femmes bourgeoises ayant un peu plus accès à l’éducation que les autres remarquent que le taux de mortalité des nourrissons est assez élevé, c’est l’une des raisons pour lesquelles elles préfèrent garder les nourrices à l’œil en leurs demeures.
En 1859 Louis de Bonald explique que “l’allaitement est une fonction trop animale pour une dame de qualité. »
En 1877 : après le constat d’une mortalité infantile très importante, on crée la loi Roussel « Tout enfant, âgé de moins de deux ans, qui est placé moyennant salaire en nourrice, en sevrage ou en garde hors du domicile de ses parents, devient, par ce fait, l’objet d’une surveillance de l’autorité publique, ayant pour but de protéger sa vie et sa santé. » Parallèlement l’utilisation du lait infantile augmente les chances de survie des nourrissons. Ces 2 occurrences conduisent les nourrices au déclin.
Avant le XIXème siècle, le potage était la norme, la famille et les nourrices portaient les bébés et à la fin XIX ème siècle le landau s’étend aux couches populaires. Le lait infantile, la modernisation change le rapport à l’enfant et l’on délaisse le portage.
(Voici une planche BD sur l’invention de la poussette que j’ai réalisé pour le magazine Famili)
1900
Vers 1910, on invente les première couches imperméables. Apparaît aussi « l’hygiénisme sanitaire ». Les médecins découvrent que la mortalité infantile est liée aux microbes et qu’elle peut être évitée en modifiant les conditions d’hygiènes. (1 enfant sur 4 meurt avant son 1er anniversaire.) Il faut vacciner, laver les bébés tous les jours, stériliser les biberons… et on infantilise les mères. On en sépare d’ailleurs les bébés à la naissance.
Jusqu’en 1950 le corps médical abreuvent les mères de recommandations qui se succèdent et se contredisent parfois au fil des découvertes et des études. Le siècle est marqué par 2 guerres, 2 baby-boom.
1950
Lors de la 2ème guerre mondiale, on abandonne l’emmaillotage au profit du « babygro », invention américaine de la grenouillère (gigoteuse). Les femmes adorent.
Les premières crèches sont créés autour de 1950. Leur fonction est différente de nos crèches actuelles. Les femmes qui travaillent s’y rendent pour y nourrir leurs bébés sur place. L’accouchement à l’hôpital se généralise après d’immenses efforts politiques (pro-natalistes suite à 1939-1945) et d’immenses efforts médicaux (pour que l’on y meure moins). Les produits de puéricultures font leur apparition. On assimile la pratique de l’allaitement et du portage aux populations primitives et aux animaux, en opposition à l’occident civilisé. Le bébé est de moins en moins dans les bras, il est dans un transat, une chaise-haute, une poussette.
Cette période est aussi une période de libération et d’émancipation des femmes, elles allaitent peu, travaillent, accèdent au droit de vote.
1970
Le portage revient.
Bernhard Hassenstein introduit le terme du « primat porté » dans la biologie comportementale.
Alors que l’on considère le portage comme réservé aux pauvres et aux cultures non-occidentales civilisées, il est réhabilité grâce à la méthode « Kangourou ». Tout commence en 1979 dans un hôpital de Bogota, en Colombie où par manque de couveuses, on décide de positionner les prématurés contre la peau nue de leurs mères, recouverts tout deux d’une couverture. Les études démontrent alors que cette méthode réduit la mortalité, la durée de l’hospitalisation, les infections, permet une meilleure stabilité respiratoire, une meilleure stabilité du sommeil ainsi qu’une meilleure régulation de la température du bébé… La méthode baptisée « kangourou » se répand dans les hôpitaux au delà de la Colombie et l’on se ré intéresse aux bienfaits du portage en terme de santé et de développement de l’enfant.
C’est en Allemagne qu’Erika Hoffman, mère de Jumelles, développe l’écharpe de portage que nous connaissons aujourd’hui en s’inspirant de méthodes Mexicaines. Petit à petit, l’écharpe de portage se développe en Europe, puis apparaissent les porte-bébés. (Selon la légende… Ce serait la marque Didymos qui aurait transcrit les premiers modes d’emploi expliquant les nouages aux parents.)
En 1970 aussi, la couche jetable apparaît !
1990
Les professionnels s’intéressent et se forment au portage. On lui associe de nouvelles caractéristiques qui ne sont pas des objectifs de transports. Le test de Harlow a démontré le besoin primaire de contact physique des nouveau-nés. On sait que les contacts fréquents et les interactions enfants/adultes sont indispensables à une croissance optimale du cerveau. Le portage apaise les pleurs, les coliques, facilite la digestion et permet d’autres bienfaits que vous pouvez lire ici.
En occident, le portage est source de questionnement comme tout ce qui est relié à la famille, à l’éducation, à l’intime :
Pour les uns, on craint que porter son enfant reflète un manque d’autorité, ne favorise pas son autonomie ou lui donne de mauvaises habitudes. Le caractère parfois militant et fusionnel du portage rebute certaines femmes associant l’environnement du portage à une prison maternelle retirant cette liberté si durement acquise et si récente.
Pour les autres, en rejet d’une éducation forgée sur la réprimande, la sanction violente et en désaccord avec la philosophie du « laisser pleurer les bébés« , on recherche de nouvelles propositions éducatives dans l’empathie et l’on se tourne vers le portage qui propose des valeurs à la hauteur du bien-être des bébés, des possibles promesses de grandir mieux, plus épanoui et non à la hauteur des exigences de l’adulte et de la société.
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Références et sources :
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